Nous sommes en l’an de grâce 1810 à Lierneux. C’est la veille de Noël.
Dans une petite ferme du village vit un garnement qui n’a peur de rien ni de personne. Son passe-temps favori est de jouer des mauvais tours à tout son entourage. Mais Joseph, tel est son prénom, est un petit filou. Sous prétexte de rendre service, il perpètre ses mauvais coups en douce .Ainsi, c’est lui qui, comme par hasard, se propose pour aller fermer l’étable quand il fait noir. C’est encore lui qui, tôt le matin, est volontaire pour allumer le poêle dans sa classe pour que le local soit bien chauffé au moment où ses camarades arriveront. C’est toujours lui qui se propose pour servir la première messe, celle que les enfants de chœur n’apprécient pas car il faut se lever plus tôt et à laquelle n’assiste jamais que la vieille Marie.
Si on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il se passe des choses étranges dans ce village de Haute Ardenne. Le maître d’école ne s’explique pas comment cela se fait que sa classe soit régulièrement envahie de fumée qui le dérange. Ah, si le brave homme voyait Joseph mettre, en même temps que du bois sec du bois humide dans son poêle, il comprendrait ce mystère.
Et le brave curé qui se demande s’il a des pertes de mémoire tant sa bouteille semble se vider vite quelques semaines. S’il avait attrapé Joseph s’enfiler une grande rasade de vin, il aurait aussi compris pourquoi il devait en recommander autant, au grand étonnement de son livreur.
Mais il se passe des faits plus troublants encore dans le bourg. On a retrouvé la chèvre de Gus dans un chêne ; quand au cheval de Jean, il a erré toute la nuit dans les rues, entraînant un corbillard éclairé de bougies. Les plus superstitieux y voient le retour du Diable, les plus sceptiques croient que ces mystères ont une explication claire mais personne ne soupçonne la vérité.
En ce jour qui précède la fête, Joseph ne semble pas dans son assiette. Joseph n’a pas mangé, signe chez lui d’un grand trouble ou d’une maladie grave. Sa maman en est toute retournée. Elle ne cache pas son inquiétude. Elle en parle à son mari quand il rentre de l’étable. « il ne mange pas et depuis le matin, il semble ne s’intéresser à rien. Il a le regard perdu dans le vide et il regarde la neige qui tombe à gros flocons, je ne le reconnais pas. » « Ne t’inquiète pas, reprend le rude fermier, ça va lui passer »
Mais le jeune garçon ne semble pas sortir de sont état grippal. Il se plaint de maux de gorge et va se coucher à quatre heures sans avoir rien pris, ni tartine, ni café, au grand étonnement de ses parents.« Il n’a pourtant pas de fièvre, dit sa mère, j’ai mis la main sur son front, cela semble normal ». Le temps passe … Dans son lit, Joseph dévore à belles dents un morceau de pain qu’il a chipé. Il entend les préparatifs de la fête. Quand ses parents montent pour se préparer pour la messe de minuit, il fait semblant de dormir. Les adultes quittent la ferme familiale et d’un bond, Joseph dévale dans la cuisine et se dirige vers l’étable. .Quand les douze coups de minuit sonnent, il voit par une étroite fente, l’étable toute éclairée et il entend les animaux parler. « Moi dit le cheval, je n’ai qu’à me plaindre de ce terrible Joseph qui me fait courir en me piquant dans les flancs. Ce garçon est un véritable démon ». « C’est vrai, disent les vaches. Il vient parfois traire une d’entre nous en cachette et quand la fermière vient elle voit que le pis est vide et elle se met à pleurer car elle craint une maladie. Et les chèvres et les moutons de se plaindre de sa négligence ou de sa méchanceté. Même le chien est victime de ses agissements car Joseph n’hésite pas à lui attacher une casserole à la queue. Le pire, dit un des animaux, c’est qu’en ce moment, il nous écoute. Il sera sévèrement puni. Pour la première fois de sa courte vie, Joseph est pris de panique. Il prend ses jambes à son cou et s’enfuit à toute vitesse se réfugier dans son lit. Le lendemain, il se lève. C’est le jour de Noël. La campagne est recouverte d’un blanc manteau. Tout semble bizarre à Joseph, il se frotte les yeux mais rien n’y fait. Quand il entre dans la cuisine, ses parents poussent un grand cri. Joseph louche terriblement. Le docteur du village ne peut que constater la situation. Jamais dans sa longue vie professionnelle, il n’a vu un cas pareil et sa science ne peut rien faire.
Joseph garde le silence. Il a compris l’origine de son état. Il ne veut pas avouer sa faute et en supporte toutes les conséquences. A quelque chose, malheur est bon. Joseph a changé du tout au tout. Jamais plus la classe n’a été enfumée, les bouteilles de l’abbé durent bien plus longtemps et il respecte les animaux. Il est devenu un exemple pour tout le monde. Le temps passe et Joseph reste semblable à lui-même.
La veille de Noël en 1811, le jeune garçon se souvient particulièrement bien de la nuit qu’il avait passée l’année précédente. Il se souvient avoir entendu parler les animaux à son sujet. Cette année, il ne revivra pas cette terrible expérience. Il a décidé qu’il irait à la messe de minuit avec ses parents et prierait pour tous les siens.
La messe se passe comme à l’accoutumée à l’exception près que cette année-là, à Lierneux, il y a eu un miracle. En sortant de la chapelle Joseph n’était plus bigleux, il avait retrouvé ses yeux et il était heureux, heureux comme tout !
D’après « Au temps où les fées habitaient l’Ardenne » de Marie-Louise Breeur – Editions Thalia.