D’après « Le Val de l’Amblève » de Marcellin La Garde.
Marcellin La Garde est né le 2 décembre 1818 à Sougné (Aywaille) et est mort à Saint-Gilles (Bruxelles) le 28 octobre 1889. Il écrit des poésies, des ouvrages historiques et des romans historiques. En 1858, il publie un recueil de légendes : « Le Val de l’Amblève ». En 1865, il écrit : « Le Val de la Salm ». En 1870, il fonde l’hebdomadaire « L’Illustration européenne » où, entre autres, il publie de nouvelles légendes réunies après sa mort dans « Le Val de l’Ourthe » et « Les légendes de la Basse-Meuse ». Cette quadrilogie le fera passer à la postérité.
Le nom de Marcellin La Garde réveille immédiatement un souvenir en mon esprit. C’est le tout début de mes humanités. Le soir, je m’enveloppe dans les couvertures de mon lit. J’allume fort bas la vieille radio de mon père espérant ainsi que ma mère puisse faire semblant de ne pas m’entendre. Je branche ma lampe de chevet très discrète sur la table de nuit juste à côté de mon oreiller et je me plonge dans la lecture envoûtante d’une vieille version du « Val de l’Ourthe » qui appartenait à mon père. J’étais comme emporté par les mystères de l’Ardenne, emporté par ce charme des légendes de chez nous. Cette passion ne m’a jamais plus quitté.
Juste avant la fête de Pâques, en 1857, Marcellin La Garde se trouvait à Trois-Ponts. Ses randonnées le conduisirent jusqu’à Saint-Jacques où il visita la petite église alors que le soir du Vendredi Saint venait de tomber, apportant une obscurité hivernale, peut-être un peu inquiétante.
La neige, s’ajoutant au tableau, l’empêcha de rejoindre Trois-Ponts et l’obligea à entrer dans un estaminet. Là, il se joignit à un vieux paysan qui se réchauffait devant l’âtre et qui lui raconta une bien étrange histoire. Selon lui, c’est à minuit du Vendredi Saint que se déroule, dans certaines églises, la PEINEUSE MESSE, autrement dit une messe de revenants. Marcellin, fortement intrigué, pria son compagnon d’en dire bien plus.
Le vieux paysan affirma aussitôt qu’une peineuse messe s’était déroulée dans l’église de Saint-Jacques, voici cinquante ans. Il jura sur ses grands dieux que ses dires étaient on ne peut plus véritables.
En ces temps-là, un certain Remy Strivay revenait d’Arbrefontaine à Dairomont. Sa marche l’obligeait à traverser une grande fagne en Fosse et Arbrefontaine. Remy était orphelin et n’était ni téméraire, ni poltron. Enfant, il fut acolyte. Il était déjà 22 heures environ, lorsqu’il traversait cette fagne. Il aperçut une silhouette assise sur une pierre. Remy fit un léger détour afin d’éviter la rencontre. Remy était un peu effrayé et en fagne, le chemin n’est jamais clairement tracé parmi les bruyères.
Tout à coup, d’une voix assez basse, la silhouette l’appela. Remy, bien sûr, refusa et voulut continuer son chemin mais l’inconnu insista. Un rien rassuré, Remy s’approcha.
Il fut alors saisi d’effroi. Il reconnut son père décédé il y a quelques années. Son père était au purgatoire et si Remy voulait lui sauver l’âme, ainsi que l’âme de sa grand-mère, de sa marraine et de bien des défunts de Saint-Jacques, il devait se rendre le vendredi suivant à l’église de la paroisse, juste au moment où les cloches sonneront les douze coups de la fin du jour. Il sera l’acolyte d’une messe de revenant.
Il devra communier la veille et jeûner depuis une demi-journée. Cependant, durant toute cette semaine, Remy ne dormit plus et ne mangea plus. Il était dans un état qui frôlait la maladie.
Et puis, l’heure fatidique vint. Remy, d’une allure pénible, marchait vers l’église. Il traversa le cimetière qui l’entourait et dès le parvis, des bruits lugubres se firent entendre. C’en était trop. Il prit la fuite pour se réfugier au plus profond de son lit. Il lui semblait que toutes les âmes du purgatoire avaient envahi sa chambre lui hurlant leurs reproches.
Or, lors de sa fuite à travers le cimetière, Remy avait été observé par un habitant du village de Fosse, que le pur hasard, avait fait passer par là en pareille heure. C’était un certain Bietmé N. qui s’en revenait de Bergeval où il avait été à la veillée chez un parent.
Bietmé était un jeune homme qui avait jeûné durant le carême. Intrigué par le manège de Remy qu’il connaissait bien, il se dirigea vers l’église et constata par la porte ouverte une faible lueur. Il entra… Marcellin remarqua le front du vieil ardennais couvert maintenant de sueur.
Bietmé vit des silhouettes blafardes et immobiles. C’était, sans nul doute, des revenants. Tous avaient une lumerotte dessus leur tête. A l’autel, un prêtre fantasmagorique le dévisageait. Un silence de mort régnait dans toute l’église.
Bietmé voulut partir doucement sans faire de bruit mais un spectre l’invita à rejoindre le prêtre. Ce qu’il fit. Le prêtre officia toute une messe, assisté par Bietmé redevenu acolyte.
La messe terminée, une sorte de soupir inonda toute l’église. Bietmé effrayé se contenta de fermer les yeux et ce n’est que lorsqu’il ouvrit un œil qu’il constata que tout le monde avait disparu et que l’obscurité était de retour. Bietmé avait servi une peineuse messe.
Conscient que par son courage, il avait permis à quelques âmes de Saint-Jacques d’être admises au paradis. Il voulut rassurer Remy mais rien n’y fit. Celui-ci était à ce point abattu qu’il mourut de langueur l’hiver suivant.
Marcellin La Garde voulut partir, la neige ayant cessé de tomber. Le vieil ardennais l’accompagna en direction de Bergeval pour quelques pas. Ils furent rejoints par un paysan connu seulement du vieil ardennais.
Au moment où tout le monde voulut se séparer, le paysan dit : « Bonne nuit Bietmé ! ». Et le vieil ardennais s’éloigna.
Le paysan expliqua à Marcellin que c’était bien Bietmé N. et que s’il était un brave homme tout le restant de l’année, le vendredi saint, il devenait comme fou. Chaque année, à la même date et à minuit, il s’en va à l’église tout disposé à servir une peineuse messe prétendant donc en avoir vécu une lorsqu’il était bien jeune.
Marc Deglaire et Isabelle Bernier