Noyé l'Poyou
De nos jours, notre forêt ardennaise est synonyme de jolies promenades en famille avec ses beaux paysages, ses champignons et ses myrtilles, son brâme du cerf... Mais il n’en a pas toujours été ainsi… Il fut une époque où elle regorgeait de nombreux dangers… L’un de ces dangers avait pour nom « Noyé l’Poyou »… Peut-être que ce nom ne vous dit rien… Ou peut-être vous rappelle-t-il une vague histoire racontée par votre grand-père ? Mais il y a 200 ans, ce sobriquet faisait trembler l’Ardenne toute entière ! Le Poyou était un chef de bande, un tueur qui inspirait la peur rien qu’à l’évocation de son nom. Peur qui s’est transmise de génération en génération. Peur que l’on peut lire encore aujourd’hui dans les yeux des plus anciens lorsque, tout en fronçant les sourcils et baissant le regard, ils relatent les histoires du Poyou. Mais point d'histoires horribles ici ! Car, comme vous allez le découvrir, notre bandit n'était pas qu'une brute sanguinaire.
Le marchand de pommes
Cette année-là avait été particulièrement clémente, si bien que les branches des fruitiers ployaient sous leur propre poids. Aussi, le Lierneusien propriétaire du verger attenant à la ferme Bricheux fit une récolte de pommes assez exceptionnelle. Cette ferme, située au beau milieu du village, est si vieille qu’il est vertigineux de songer à tous ses habitants qui se sont succédés en son sein. Notre homme avait pour projet de vendre toute sa récolte au village de Fraiture. Sa charrette remplie de pommes à ras bord, débordante même, fut attelée à un vigoureux bidet, ardennais lui aussi.
Dès potron-minet, notre attelage prit la route. Il devait traverser non seulement quelques campagnes du pays mais aussi les bois au pied de la colline de Houby. Notre brave cultivateur n'était guère rassuré, en effet depuis quelques temps on signalait Noyé l'Poyou dans la région. Mais bon, le commerce était intéressant, il fallait donc prendre le risque. À la sortie du village, à hauteur de l'actuelle piste de ski, notre Lierneusien intrépide surveillait le moindre buisson, ses yeux allant de gauche à droite. Il remarqua alors une silhouette marchant sur le côté du chemin, à peut-être 200 ou 300 mètres devant lui.
- Oh ! L'étranger ! Attends-moi !
L'inconnu s'arrêta.
- Tu sembles prendre le chemin de Fraiture, toi aussi ? Faisons donc le trajet à deux ! Noyé hésitera à nous attaquer !
L'étranger fut un sympathique compagnon de voyage. Leur conversation alla bon train. Le Lierneusien en oublia même Noyé l'Poyou. Après deux heures de trajet, le petit village de Fraiture était en vue. Le chemin se séparait en deux : celui de gauche conduisait très vite à Fraiture, alors que celui de droite menait à la forêt de Groumont. Curieusement, l'étranger prit la direction de la forêt.
- Tu ne m'accompagnes pas au village ?
L'étranger fit une moue un peu moqueuse :
- Non, ce n'est pas mon chemin !
- Mais, j'ignore même ton nom ! Ajouta notre homme.
- Mon nom ?... Noyé l'Poyou !!
À vrai dire, qu’aurait-il fait de toutes ces pommes ?
Emeline et Marc Deglaire
Magonette et Géna
Magonette et Géna sont deux célèbres bandits d'Ardenne ayant fait partie de la bande de Noyé l'Poyou. Ce dernier fut leur maître à penser. Magonette, de son vai nom Henri-Joseph Theis, est né à Grande-Mormont (hameau de Wibrin) en 1790. Jean-Henri Géna est né à Lignely (hameau de Heyd) en 1795. Ils furent tous deux décapités à Liège le 4 juin 1821. La guillotine qui servit à leur exécution est visible au Musée de la vie wallonne.
Nombreuses sont les légendes relatant leurs aventures, en voici deux :
La vieille Suzanne
Magonette traversait les fagnes de Bihain, en plein été. Alors que le soleil le couvrait de sueur, les taons l’attaquaient de toutes parts. Et notre bandit, malgré sa vigueur, commence à souffrir de la soif. Evidemment, l'eau est présente partout, il peut se rafraîchir la tête, les avant-bras et même la bouche ; mais quant à boire ? Le risque de dysenterie serait trop élevé ! Il eut alors l'idée de rendre visite au puits d'une connaissance de longue date : la vieille Suzanne. Celle-ci vivait seule, de deux ou trois vaches. Sa masure à moitié en ruine était en bordure des fagnes. Magonette ne cogna pas du poing cette porte guère solide de la chaumière délabrée de la vieille Suzanne. Il l'ouvrit avec précaution. C'était un habitué. Il fut surpris en découvrant la vieille femme en pleurs, assise à sa table et le visage dans ses mains.
- Qu'as-tu donc la vieille ? " demanda Magonette.
Suzanne lui jeta un regard plein de larmes.
- Tu sais bien que ma maison ne m'appartient pas ! Et voilà des mois que je n'ai pas eu de quoi payer mon loyer ! Aujourd'hui, le propriétaire vient pour se faire payer. Et comme je n'ai pas un sou, il va me jeter dehors ... comment vais-je pouvoir vivre ? "
Sans ajouter un mot, Magonette détacha de sa ceinture une bourse pleine de francs et la tendit à Suzanne. Il y avait là de quoi payer non seulement l'entièreté du retard, mais de nombreuses années avenir. La vieille Suzanne n'en crut pas ses yeux. Elle bénit Magonette tant qu'elle put mais, submergée par l'émotion, elle ne réalisa pas que Magonette lui fit dire avec précision l'heure de la visite du propriétaire ! Ce dernier sera payé, il ne pourra dire le contraire ! Mais vous devinez la suite : sur le chemin du retour, il croisa la route de Magonette qui eut tôt fait de récupérer son bien.
L’étourneau de Lierneux
Un jeune lierneusien, nommé Mathieu, s’en revenait de Liège, à pied bien sûr, comme souvent à cette époque. Pour se marier, il avait trouvé un emploi à la ville. Ce qui, ma foi, lui avait permis de rassembler une dot assez cossue. Il avait rassemblé ses économies et acheté quelques bijoux. Le tout précieusement emballé et placé au fond de sa besace. Il espérait ainsi plaire à sa promise.
Bon marcheur, deux jours lui seraient suffisants pour rejoindre le village de Lierneux et les bras de sa dulcinée. La première journée se déroula sans encombre. Dès le coucher du soleil, il s’allongea au pied d’un vieux chêne et s’endormit, les deux mains sur sa besace.
Le lendemain alors qu’il commençait à gravir les collines de l’Ardenne, Mathieu croisa la route d’un autre voyageur. L’homme n’était pas très grand, il avait le visage marqué par la petite vérole et les cheveux rebelles mais il se montra fort agréable. Aussi ils décidèrent de faire un bout de chemin ensemble. Rapidement mis en confiance, notre jeune lierneusien lui confia son projet de mariage prochain. A l’idée de cette si belle lierneusienne qui l’attendait, il en oublia toute prudence élémentaire. Il exhiba sa fortune devant le nez de son compagnon. Ce dernier, admiratif, l’étudia obligeamment. Et sa conclusion fut catégorique :
- Cache donc ta fortune, jeune étourneau, nous arrivons au bois du Fays. Il y a là bien des charbonniers aussi sauvages que de mauvais aloi.
Le jeune lierneusien éclata de rire tout en exhibant un gros bâton de cornouiller.
- Qu’ils y viennent ces charbonniers ! Je saurai les recevoir !...
Sur ces mots, son compagnon le quitta, prenant le chemin de Malempré. Mathieu n’avait plus qu’à traverser la forêt, puis le village de Jevigné pour enfin atteindre Lierneux. Pressé, il accéléra le pas.
Au contraire, son ancien compagnon ralentissait la marche pour mieux tendre l’oreille. Il fut bien inspiré. Il perçut la course de plusieurs individus dans les feuilles mortes de la forêt, puis des cris résonnèrent. Il fit demi-tour et s’élança.
Six charbonniers noirs de la tête aux pieds venaient de terrasser notre jeune lierneusien, s’apprêtant à lui ravir sa fortune.
- Holà compagnons !... C’est là mon travail ! Retournez donc à votre charbon !
- … GENA ! …
Autant par crainte que par respect, les six charbonniers reculèrent de plusieurs pas.
Le jeune fiancé se releva fort déconfit, mais réconforté par le bandit ardennais.
- Il est mieux que je t’accompagne jusqu’à l’entrée du village, il me semble. Avec tous mes respects pour ta fiancée, je refuse qu’il arrive malheur à un si gentil étourneau, la veille de ses noces.
Emeline et Marc Deglaire